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Le carnet de notes d’Oedicnème criard
Chronique de la nature et du quotidien : Migrator
jeudi 30 octobre 2008
Zinelabidine Benaïssa
(attariq 03-05-2008)
[vert fonce]Si j’ai un peu la tête en l’air, ces temps-ci, c’est parce que c’est la saison de la migration des oiseaux. La migration de printemps, celle qui va du sud vers le nord, avec grosso modo, une oblique ouest-est plus ou moins prononcée, vu que la terre tourne d’est en ouest, ou, si vous préférez, de droite à gauche si l’on en croit l’animation des génériques de 95% des journaux télévisés. Bref, après avoir passé la mauvaise saison dans leurs quartiers d’hiver, les oiseaux remontent vers le nord, pour aller nicher[/vert fonce].
D’ailleurs, pourquoi je dis « remontent » ? Là aussi c’est une vue de l’esprit, on ne remonte pas vers le nord pas plus qu’on ne descend vers le sud. Ce n’est pas une affaire d’altitude mais de latitude. D’ailleurs, les cartographes arabes ne s’y sont pas trompés, et dans leurs magnifiques mappemondes le sud est en haut, et le nord en bas, le grand Charif Al Idrissi, bien sûr, mais aussi nos Ali et Ahmed Charfi nationaux. Implacable logique de préséance qui a été retournée, au sens propre du terme, le jour où l’Europe est devenue le centre du monde.
D’abord, il n’y a pas que les oiseaux qui migrent. Ce déplacement saisonnier est accompli par d’autres espèces animales comme les poissons (thons, sardines, maquereaux), les mammifères marins (baleines, cachalots, dauphins) et même les mammifères terrestres (rennes, gnous, sans-papiers), mais dans ce dernier cas, on parle plutôt d’immigration ou d’émigration selon le point de vue dans lequel on se situe, et le nombre de places charter qu’il reste à pourvoir. Aujourd’hui je vais me contenter de vous parler de certains aspects méconnus de la migration des oiseaux.
Et pour commencer, une migration qui passe souvent inaperçue, celle des tout petits passereaux, rouge-gorge, pouillot, fauvette, plus petits qu’un moineau, et qui, pourtant, avec leurs petites ailes et leurs petits poumons, vont traverser le Sahara, puis la Méditerranée, puis l’Europe, ensuite la Manche ou la mer du Nord, pour aller nicher en Irlande ou en Norvège.
Ce voyage retour (aller en automne et retour au printemps, le point initial du décompte étant bien sûr l’éclosion à la fin du printemps ou au début de l’été, CQFD), ce voyage retour donc est semé d’embûches, de chausse-trappe, et, en ce qui nous concerne, de mendefs, redoutables pièges métalliques, de fabrication locale, qu’utilisent les enfants des oasis pour accueillir comme il se doit les passereaux migrateurs, qui arrivent exténués de leur traversée du désert, et qui n’ont qu’un seul désir, se reposer un peu, piquer un roupillon dans la première palmeraie venue. Et comme le plus souvent le flux migratoire atteint son acmé à la fin du mois de mars, ce qui correspond aux vacances scolaires, je ne vous raconte pas le massacre ! D’un autre côté, on se dit, qu’est-ce qu’on est en train d’offrir à ces gosses de Sabria ou de Fawar, comme distractions, comme activités culturelles ou sportives, comme espoir en une vie meilleure ? Qu’est-ce qu’on est en train de faire pour ces gosses qui s’ennuient à mort, et qui jouent à tuer, à ces gosses qui, plus âgés, ne vont plus rêver que de partir, de quitter pour toujours ces points de verdure, que le vent ensable jour après jour ?
La migration des gros calibres est bien sûr plus spectaculaire. Qui n’a jamais vu à El Haouaria ces carrousels de rapaces qui tournoient lentement, qui montent, qui montent, et qui, brusquement, se transforment en escadrilles mettant le cap vers l’Italie… Qui n’a jamais observé la migration du milan, du busard et de la bondrée a sans doute raté l’un des plus beaux spectacles de la nature. Leur passage par le Cap Bon se passe à peu près sans heurt, si l’on excepte les filets démesurément longs que tendent les fauconniers pour capturer les éperviers femelles (ﺍﻠﺴﺍف). Notons d’ailleurs que tout ce qu’ils attrapent en sus, coucou, hibou petit-duc, etc., oiseaux dûment protégés, va servir de repas pour l’épervier pendant sa période de dressage. Le hic, c’est quand ils arrivent en Italie et qu’ils doivent traverser le détroit de Messine. Il est vrai qu’on n’est pas loin à cet endroit de Charybde et de Scylla. C’est là que les attendent les braconniers italiens, à Messine, et surtout à Reggio Calabria, avec leurs fusils automatiques dernier cri. Aigles de Bonnelli, Bondrées apivores, Milans royaux, Buses variables tombent comme des mouches à chaque printemps, malgré la vigilance de la Brigade de chasse italienne, et de dynamiques associations protectrices des oiseaux, dont la LIPU.
Si l’on suit la voie migratoire de l’est africain, celle qui traverse l’Egypte, le Sinaï, la Palestine, la Syrie, le Liban, la Turquie, c’est encore pire ! Tuer les oiseaux migrateurs est pratiquement un sport national en Syrie, au Liban et ailleurs. Surtout à la Kalashnikov, ou à la M16, ça te donne une de ces allures, avec ta gourmette en or, tes lunettes Police et ton béret Guevara !
Et pourtant, malgré tous les dangers qui les cernent de partout pendant leur migration, les rescapés de l’année vont refaire le même périple, et apprendre à leurs petits à le faire aussi bien qu’eux, encore et encore, malgré la bêtise des hommes. Le grand V que dessinent, dans le ciel, ces cigognes qui passent, c’est peut-être, qui sait, un V de la Victoire !
Zinelabidine Benaïssa