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Le carnet de notes d’Oedicnème criard

Chronique de la nature et du quotidien : Le crépuscule des hyènes

mercredi 22 octobre 2008

Zinelabidine Benaïssa

[vert fonce]La hyène rayée existe bel et bien en Tunisie. Depuis que le lion de l’Atlas et la panthère ont disparu au début du 20ème siècle, ce drôle de mammifère au dos incliné est incontestablement le plus gros carnassier tunisien, en tout cas si l’on s’en tient au sens propre. C’est un peu la part qui nous reste de l’Afrique profonde, celle de la brousse et de la savane…[/vert fonce]

Certains de mes lecteurs seront peut-être étonnés de cette survivance, de cet anachronisme : « Tiens, je croyais qu’elle avait disparu depuis longtemps ! ». Eh non, la hyène est toujours parmi nous, et elle vivote tant bien que mal dans certaines montagnes de la Dorsale tunisienne, apportant un démenti cinglant au vieux dicton bien de chez nous qui prétend que la hyène est facile à piéger (حصل كيف الضبع). Si c’était vraiment le cas, elle aurait disparu depuis bien longtemps. Au contraire, elle est maligne comme un diable, et il faut se lever de bonne heure pour pouvoir l’observer. Comme tous les grands mammifères de Tunisie, elle a dû s’adapter aux ténèbres, et devenir de facto nocturne, afin d’éviter de rencontrer les humains, alors que c’est si bon de batifoler au soleil, en plein jour.

Emblème même des animaux charognards, l’hyène rayée a de plus en plus de mal à trouver des cadavres d’animaux en abondance. A cela deux raisons : la disparition du grand nomadisme, qui, entre autres, a été fatale a au moins trois espèces de vautours : le gypaète barbu, le vautour fauve et le vautour oricou, tous trois amateurs de charognes, cela va de soi. Deuxième raison : la raréfaction générale de la faune sauvage. Bref la pauvre hyène n’a plus grand-chose à se mettre sous la dent, à part les chiens écrasés, mais pour se les procurer il faut descendre de la montagne et aller fouiner sur les routes.
Hyène rayée
Les conducteurs tunisiens étant ce qu’ils sont, c’est bien le diable si elle ne trouve pas un petit en-cas à croquer : un molosse « arbi » bien en chair, un chat de gouttière, une mangouste, et, pour le dessert, moineaux et hérissons à volonté. Qui a dit que l’automobiliste lambda tunisien, qui ne lève jamais le pied pour laisser le temps aux animaux de traverser la route, et qui, dans la plupart des cas, accélère plutôt, pour que le crapaud ou le surmulot arrive pile poil sous la roue et fasse un drôle de sccrrouchch, qui deviendra un joli tag sur l’asphalte, qui a dit que ces chauffards inconscients nuisaient à la nature ? Bien au contraire, même s’ils ne le savent pas eux-mêmes, ils font œuvre utile et participent à leur manière à la protection des charognards en général et de l’hyène en particulier.

Notre pauvre hyène doit faire face à un autre problème, qui se pose à elle depuis 2007. Histoire très curieuse où l’hyène a été la victime indirecte d’une vaste opération sécuritaire qui a consisté à obstruer, emmurer, condamner, tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à une caverne, un tunnel, une galerie, un passage souterrain, une grotte, bref tous les trous susceptibles de servir de cache d’armes ou de base salafiste. Tout, et partout en Tunisie, y compris dans les parcs nationaux. Il suffit de se promener un peu dans la nature pour constater le phénomène. Or, comme la hyène est cavernicole, j’ai bien peur que beaucoup de nos hyènes aient été prises au piège dans des in pace de fortune, emmurées vivantes. J’ose espérer qu’elles ont encore une fois fait mentir l’adage et qu’à l’aide de leurs grosses griffes, elles ont pu s’en sortir, et aménager d’autres petites grottes pour élever leurs petits.
Si vous voulez voir ce magnifique animal, qui ne mérite pas une aussi mauvaise réputation, allez au zoo du Belvédère. A gauche du rocher aux ours, il y a un enclos qui abrite un beau couple de hyènes capturées en Tunisie, précisément à Khchem El Kelb au sud de Kasserine. La photo qui illustre cet article a été prise à l’intérieur même de l’enclos. C’est Emna Charfi qui a pris le cliché, elle était à un mètre de la bête. C’est bien la preuve que la hyène est un animal tout à fait inoffensif, malgré une dentition impressionnante et le Roi Lion I, II et III.

Zinelabidine Benaïssa

zaynelabidine@yahoo.fr