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Le carnet de notes d’Oedicnème criard

Chronique de la nature et du quotidien : Khroufa

lundi 13 octobre 2008

Zinelabidine Benaïssa (Attariq 04-10-2008)

[vert fonce]Khroufa est une belle petite réserve naturelle de 125 hectares située à Ouechtata, à mi-chemin entre Nefza et Tabarka. Elle a été créée pour protéger une race de chevaux en voie d’extinction, le poney des Mogods, mais aussi les autres habitants de la forêt, notamment l’étonnant cerf de Berbérie, notre cerf à nous, la sous-espèce tunisienne du cerf rouge ou cerf élaphe, celui-là même qu’on voit sur les mosaïques romaines, et qui a pu être sauvé in extremis de l’extinction totale grâce à la création du parc national d’El Feija…[/vert fonce]

D’ailleurs la présence même du cerf à Khroufa est la preuve tangible de l’extension remarquable de l’espèce, naguère cantonnée dans les forêts les plus denses d’El Feija, cet étrange bec de canard que les cartographes colonialistes du 19ème siècle ont daigné laisser à la Tunisie. Merci Jules Ferry. Et comme le mois de septembre c’est la saison du brame, et que tous les mâles en rut chantent à leur manière « biche oh ma biche », il y a des chances de le voir surgir on ne sait d’où et disparaître dans les sous-bois.
Réserve Khroufa
On se demande même comment il fait, malgré son 1,50 m au garrot et ses 250 kilos, pour passer inaperçu dans la forêt, et on rage parfois de le savoir si près et de ne pas pouvoir le voir. Même le jeune cerf et la jeune biche qui ont été placés dans un grand enclos boisé à Khroufa sont très difficiles à observer. Il a fallu l’intervention de Fethi, gardien de la réserve, pour qu’au bout d’un quart d’heure, on pût entrapercevoir un éclair couleur de terre, couleur de feu.

L’enclos est situé derrière les haras destinés à la multiplication du poney des Mogods. Un poney tunisien ? Oui, parfaitement un poney tunisien, il n’y en a pas qu’aux Shetland les poneys. Ils étaient naguère nombreux dans la région des Mogods, petits, robustes, juste ce qu’il faut pour la montagne et la forêt. Ça s’appelle adaptation. Les habitants de ces régions montagneuses les utilisaient comme montures et comme bêtes de somme. Et puis un jour, on les a négligés, on a oublié de les multiplier, ou alors on les a croisés avec des chevaux plus grands, barbes ou arabes, et la race de ces très beaux poneys a failli s’éteindre. Rien ne vaut la mobylette, n’est-ce pas ? A Khroufa, vous pouvez voir les derniers survivants, à ma connaissance, de l’unique poney tunisien, installé dans son milieu, au cœur même de la forêt. Poney à Khoufa

Ce qu’il me reste à dire ne concerne pas uniquement Khroufa, mais toutes les réserves et tous les parcs de Tunisie. Partout où je suis allé, on m’a raconté la même chose. Je veux parler ici de la situation précaire des gardiens de ces parcs et réserves. Est-ce que vous savez qu’ils n’ont même pas le statut d’ouvrier de la fonction publique ? Est-ce que vous savez qu’ils sont payés deux fois moins que le SMIG et qu’ils ne cotisent à aucune retraite ? Est-ce que vous savez que tous les six mois ils sont régulièrement renvoyés puis réintégrés pour qu’on ne les titularise pas ? Et ce qui fait ça, ce n’est pas un gérant quelconque d’une usine sous douane, non, ce qui ose faire ça, c’est la Direction Générale des Forêts, c’est-à-dire l’Etat tunisien !

Comment peut-on parler de protection de la nature avec des gardiens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Des gardiens qui pourtant font tout leur possible pour rester dignes et pour remplir à bien leur tâche ? Fethi garde de Khroufa Pire, j’ai appris que cette année, ils n’auront plus droit à l’uniforme, comme on les a privés, il y a deux ou trois ans, du brodequin et du manteau. A quoi ça sert de concevoir des plans de protection et de mettre en réserve des zones fragiles et menacées, si on néglige les gardiens des parcs, ou selon la nouvelle nomenclature du Ministère de l’agriculture et des ressources hydrauliques éco-gardes, véritables soldats de cette bataille au quotidien contre les braconniers, contre les pollueurs, contre mille et une menaces. Donnez moins de bons d’essence aux chefs ou aux sous-chefs, moins de voitures de fonction, faites payer un droit d’entrée dans les parcs et les réserves, et, s’il vous plaît, Messieurs les Responsables, achetez des brodequins et des uniformes à nos gardiens, en un mot offrez-leur la possibilité de travailler dans la dignité.

Zinelabidine Benaïssa

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